L’indépendance est en Occident le modèle même de la réussite sociale et personnelle.
Les films sont remplis de ces “self-made men” qui ont réussi seuls contre tous.
Et combien d’entre nous se sont déjà surpris à dire ou penser “j’y suis arrivé seul, personne ne m’a aidé” avec une sorte de fierté revancharde ?
La vérité c’est que quasiment personne ne fait rien seul.
L’indépendance totale est une illusion.
Hormis peut-être quelques rares ermites ,nous ne cultivons pas notre propre nourriture. Nous dépendons d’autres mains, souvent lointaines, toujours anonymes, pour nos vêtements. Nous ne fabriquons pas nos voitures, nos ustensiles de cuisine, nous n’avons pas bâti nos maisons et même nos objectifs de vie sont soutenus par des professeurs, des anonymes, des allocations…
Dans mon cas par exemple, je dis souvent par simplification que j’ai voyagé seule.
En réalité je n’ai jamais été aussi dépendante que dans ces années-là : dépendante d’être accueillie, nourrie, dépendante du temps que l’on pouvait m’héberger, dépendante des autorités pour les visas et aussi des opportunités d’enseigner la danse.
Cette image de liberté totale n’est pas réelle.
Cette constatation est pourtant loin d’être négative.
Déjà, elle est simplement lucide. Nous avons, plus que jamais, besoin des autres.
L’injonction à l’autonomie et à l’indépendance n’ont créé qu’une épidémie d’isolement et de faux espoirs.
Etre seul est rarement une victoire.
L’homme prospère en société, depuis toujours, malgré toutes les difficultés que cela implique au quotidien.
Cette “non-indépendance” n’est néanmoins pas exactement une dépendance mais une inter-dépendance.
Vous avez peut-être besoin de ceux qui cultivent vos tomates, mais ces mêmes personnes qui cultivent les tomates ont aussi besoin de vous pour enseigner les maths à leurs enfants ou que sais-je.
Sur le plan personnel, les enfants ont besoin de parents, nous avons besoins d’amis, d’amour, de relations de toutes sortes qui fonctionnent en va-et-vient.
La coopération est inscrite en nous.
De manière intéressante, les sociétés animistes que nous fûmes, et celles qui existent encore de part le monde, considèrent l’homme comme faible.
Il dépend du climat pour cultiver, de la présence d’animaux sauvages pour se nourrir et se vêtir.
Tuer un animal pour le manger et utiliser sa peau n’est pas un acte de cruauté mais de gratitude pour cette interdépendance qui permet à tout le monde d’avoir une place.
Reconnaître cette place c’est concevoir la dignité d’existence de chaque chose, son caractère indispensable.
C’est aussi une invitation à la modération.
Les peuples animistes savaient que s’ils prenaient trop d’un coup, ils en seraient punis à court ou moyen terme. Dans leurs termes cela prenait la forme d’une justice divine et cosmologique.
Mais nous, qui pensons tout contrôler seuls, qui nous sentons indépendants des autres humains, de la nature, des plantes, qui pensons les dominer, comment nous rappellerons nous que nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne ?

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