La fin du potager

J’ai enlevé les derniers pieds de tomates.

Parmi les feuilles jaunies pendaient depuis des semaines les dernières grappes de tomates cerises vertes, toujours vertes malgré les derniers rayons du soleil, comme figées.
C’est la fin du potager.

En démêlant les fils de fer que j’avais tendus en une treille de fortune, je me suis revue il y a quelques mois à peine.
Je revenais de Jardiland les bras chargés de plants, tous étalés autour du petit espace qui sert de potager.
C’était un soir de mai, les jours étaient longs, les soirs déjà chauds. Je revenais de l’école primaire d’un patelin de la région où j’avais passé la journée à enseigner des danses d’Asie à des enfants charmés, mais pas toujours charmants.

J’ai creusé les trous à genoux dans la terre, le vieux propriétaire de la maison assis sur une chaise de jardin, pointant sa canne vers les emplacements qu’il jugeait préférable pour nos futures cultures.

J’ai creusé chaque trou, versé de l’eau, du terreau, j’ai déposé chaque plant de mes mains. J’ai mis dans chacun l’espoir des fruits à venir.

Puis la nature a suivi son cours, avec un peu de mon aide. Certains plants ont été dévorés par les escargots, parfois c’était moi le matin qui collectait des escargots en route pour plus de ravages et qui les mettaient à l’écart en les grondant (comme si ça allait changer quelque chose)

J’arrosais les matins et parfois les soirs et petit à petit, les plants ont grandi, les feuilles se sont déployées, les bourgeons ouverts et les premiers fruits sont apparus : des tomates, des poivrons, des aubergines, des concombres sur la treille faite de piquets et fils de fer.

Les mois ont passé. Yisha grignotait les mauvaises herbes du potager et je récoltait dans le panier en osier que j’avais tressé en janvier les fruits qui émergeaient. Fascinant de penser que chacun contient tant de graines qui chacune pourrait donner un nouveau plant !

Malgré la répartition de la récolte, mon frigo croulait sous les tomates et ma cuisine était envahi de ces agaçants moucherons qui viennent avec les fruits et le soleil.

Chaque tomate a eu le goût de l’arrosage patient, de la canicule évitée, d’un petit morceau de corde autour d’un tuteur.

C’était bon ! C’était abondant !

Mais tout a une fin. Ce qui croît doit décroître et retourner à la terre.
Quelques aubergines pourries ont été laissées à terre, à la merci des derniers escargots, pour que leurs graines soient éparpillées dans le sol désormais humidifié par la pluie.

L’année prochaine il faudra tout recommencer et à nouveau élever des plantes qui viendront peut-être de quelques graines sauvegardées précieusement pour qu’elles passent l’hiver ici avec les humains avant de retourner grandir dans le petit potager.

Epilogue
Un unique plant de courgette avait survécu aux escargots. Pendant l’été il a prospéré tranquillement sous forme de feuilles et fleurs mâles. Mais aucune courgette à l’horizon.
Je l’avais poussé sur le côté pour qu’il vive sa vie sans gêner les tomates et je l’ai un peu oublié.

Les pieds de tomates arrachés, j’ai voulu lui donner l’occasion de courir sur le terrain désormais nu et c’est là que je l’ai vue : le pied de courgette était en fait un pied de citrouille.

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